JEAN-MARIE POUMEYROL

Jean-Marie Poumeyrol est né à Libourne en 1946. Le sentiment d’ennui qui l’a toujours accompagné lui a permis de développer très tôt une acuité du regard digne d’un entomologiste.  Un don pour le dessin, puissant dérivatif à cet ennui, n’a pas échappé à l’œil vigilant de sa mère qui fit preuve d’une grande sagacité en l’inscrivant à un cours privé.  Cette initiation alliée à ses aptitudes lui permit de réussir, alors qu’il n’avait encore que seize ans, le concours d’entrée à l’Ecole des Beaux-Arts de Bordeaux, dont il devint le plus jeune élève, et dont il sortit diplômé pour la peinture en 1968 et pour la gravure en 1969. Il débuta dans la peinture érotique qui lui valut un beau succès et la célébrité. Il vit aujourd’hui à Pau et ne peint plus depuis 2011 pour cause de maladie. Son travail a fait l’objet de nombreuses publications en France et à l’étranger et de nombreuses acquisitions par des musées nationaux.

Le monde qu’il décrit est lié à son histoire personnelle et à son ancrage visuel, des souvenirs précis emmagasinés dès six ans, son environnement immédiat, Libourne, les bords de l’Isle, ses déambulations et découvertes d’abord pédestres, puis avec sa petite barque lors de ses périples sur l’Isle. Le monde s’est un peu agrandi ensuite, les bords de Garonne longuement parcourus à bicyclette l’ont amené aux portes de Bordeaux. Ce territoire lui paraissait immense lorsqu’il était enfant. Il ne chercha guère à le dépasser par la suite. Il est resté fasciné par les sites industriels abandonnés, les écluses du canal latéral de l’Isle, les blockhaus du mur de l’Atlantique, la base sous-marine de Bordeaux, tous ces sites façonnés par l’homme où règnent le béton et la ferraille vont devenir des endroits formidables au sens étymologique (qui inspirent la terreur) où le visuel et l’imaginaire ont pu se donner libre cours.

Le paradoxe dans la peinture si réaliste, au rendu quasi photographique, de Poumeyrol est qu’elle ne prétend pas  représenter la « vraie vie » : il s’agit d’une réalité différée et reconstituée uniquement à travers le filtre de la mémoire, le tamis du souvenir et de l’imaginaire. Le terme qu’il préfère pour qualifier sa démarche est celui de réalité transfigurée. Ses tableaux sont de véritables mises en scène uniquement composées en atelier, car il n’a jamais peint ni dessiné sur le motif. Si tout semble vrai, on ne soulignera jamais assez l’acuité de sa perception dès l’enfance et l’impression, au sens littéral, qui s’en est suivi. Comme il le dit lui-même : « Le recul du temps rend le souvenir sélectif et le débarrasse des éléments superflus pour ne restituer enfin que l’essentiel ou le plus significatif ». Par le cadrage puissant, jouant des différents ressorts de la perspective, par la dramatisation, le spectateur est amené dans un monde fantasmagorique mais où tous les éléments pris isolément sont vrais.

Nul n’ignore que la peinture est un leurre et que, comme le disait Matisse, pour exprimer une émotion ou une impression il fallait la retranscrire. Poumeyrol a choisi d’exprimer son sentiment par le rendu le plus exact possible d’une réalité totalement recomposée par l’imaginaire. Il a souvent répété qu’il peignait, non pour épater par sa technique éblouissante, mais pour émouvoir. Il fixe un peu à la manière d’un entomologiste des fragments d’êtres, de souvenirs, de reliques, des bribes de paysages ou de constructions délaissées avec une rigueur clinicienne. Poumeyrol se livre à une démarche insolite qui fait de lui l’archéologue de sa propre mémoire. Sa peinture est techniquement hors normes, méticuleuse, lentement élaborée,  sans aucun effet de matière, lisse et froide et pourtant poétique et chargée d’affect. Son œuvre est une autobiographie distanciée qui, par la décantation des images et leur résurgence visuelle, couvre à la fois les registres de la narration et de l’introspection, mais elle transcende toujours l’anecdotique.

Toute la réflexion du peintre est basée sur la précarité, sur le souvenir et le temps. Il ne faut donc pas s’étonner de trouver dans son œuvre les traces les plus humbles et les plus émouvantes des objets, des végétaux qui ont accompagné notre existence : c’est eux qui survivront quand les temps auront passé, un peu comme les vestiges de formidables civilisations disparues, dont on exhume que des fragments de tissus, de verre ou de poteries. Une certaine mélancolie poétique sourd de cet univers aux teintes sépia, de ces non lieux ni ville ni campagne qui n’ont pas de délimitations précises. Une des clés de sa peinture, qui fascine par son statisme, se trouve dans la confrontation de deux notions en apparence inconciliable : l’immobilité trompeuse et le sournois travail destructeur du temps. Sous une apparence amorphe se dissimule le tumulte perpétuel initiateur de changement.

Il a traité plusieurs fois le thème du Paysage prisonnier où la nature prend sa revanche sur la culture industrielle, dans une reconquête sauvage et superbe. Les écluses ont fait leur temps, les établissements de bains sont passés de mode au profit de la thalassothérapie. Et les constructions les plus orgueilleuses sont aussi les plus malmenées, les forts, les blockhaus, les bassins à flots. La nature et le temps viennent à bout de tous les  bunkers. Sa vision du monde est partagée entre le désir de rendre compte de l’humble beauté du quotidien et de montrer que, quoi que fasse l’homme, la nature est toujours souveraine et qu’il ne sert à rien d’aller contre l’ordre des choses.

Roue de Fortune et réflexion sur la décadence, regrets de ce qui a été et qui n’est plus, vanité des prétentions humaines, que de leçons à méditer. Il se dégage de sa peinture une véritable éthique philosophique fataliste, souvent mêlée de tendresse, envers la vanité des entreprises humaines et le cours irréversible du temps. L’inéluctable est récurrent dans son univers, tantôt de façon évidente, tantôt crypté. Mais il se défend d’une quelconque morbidité.  Même s’il a représenté un certain nombre de tombes, il considère qu’il y a toujours dans ces tableaux un élément de renaissance. Sic transit gloria mundi…disaient Les Ecritures. Ainsi va le monde conclut avec une certaine ironie Poumeyrol qui, s’il est sensible à la poésie et à la grandeur des ruines, n’oublie pas de faire œuvre de philosophe et de moraliste comme le firent en leur temps Du Bellay ou Piranèse. Il livre à notre contemplation Les Antiquités du XXe siècle.

 « Vivre, c’est s’obstiner à achever un souvenir. » Cette citation de René Char serait susceptible de constituer le credo de Jean-Marie Poumeyrol à propos de l’œuvre de sa vie. Lui aussi est un archéologue du souvenir, un excavateur de l’oubli, un Marcel Proust de notre temps. Sans grandiloquence, il cherche à travers le chaos du monde des bribes d’éternelle permanence.

Texte de Michèle Heng & Jonk

Basé en partie sur les ouvrages :

Poumeyrol de Michèle Heng, Ed. Atlantica, 2001

Poumeyrol, Marges de Michèle Heng, Ed. Atlantica, 2009

Poumeyrol: La réalité transfigurée de Gerd Lindner, Chantal Puffe, Jean-Marie Poumeyrol, Michèle Heng, Ed. Panorama Museum, 2015

Le Passage
1982
54x90cm
Acrylique sur papier

Elle et Lui
1984
81x116cm 
Acrylique sur panneau

Fontaine aux nénuphars
1987
93x59cm
Acrylique sur panneau

Paysage prisonnier (détail)
1987
89x116cm
Acrylique sur panneau

Fougères des murs
1993
83x57cm
Acrylique sur papier

Toits sous la neige
1993
61x89cm
Acrylique sur papier

Puits de jour – l’arbre
1994
130x89cm
Acrylique sur panneau

Eléments d’avion
1996
93x130cm
Acrylique sur panneau

La Caverne – végétation
1999
130x89cm
Acrylique sur panneau

Le Wagon blindé
1999
81x116cm
Acrylique sur panneau

Le Bateau de sauvetage
2003
97x130cm
Acrylique sur panneau

Abri dans un puits
2007
130x89cm
Acrylique sur panneau

Les arches
2008
116x81cm
Acrylique sur panneau

Chalutier en cale sèche
2009
 65x100cm
Acrylique sur panneau

Source captée dans un puits
2009
130x89cm
Acrylique sur panneau
Pièce d’eau
2009
97x130cm
Acrylique sur panneau

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